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Thomas Lemée (Air Liquide) : « L’intégration d’une agence de notation européenne est loin d’être insurmontable au regard des bénéfices potentiels »

juillet 2025
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Auguste GRIGNON DUMOULIN
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Le marché des agences de notation est historiquement dominé par des acteurs américains. Quelques agences européennes existent mais représentent encore une part de marché minoritaire. L’Europe gagnerait pourtant à gagner en souveraineté sur le sujet. 

C’est pour mettre en avant ces agences que la commission « Finance durable et notations » de l’AFTE a organisé mardi 3 juin une réunion rassemblant deux entreprises notées par deux agences européennes. Retrouvez ici le témoignage de Thomas Lemée, Responsable du financement et des notations à Air Liquide, et celui de Charles-Henry Aulagner, Directeur des institutions financières, non financières et des entités publiques à Scope Group, qui reviennent sur la notation d’Air Liquide par Scope Ratings.

AFTE : Quelle est la genèse derrière le choix d’une notation européenne pour Air Liquide ?

Thomas Lemée : Dès la crise de Lehman Brothers en 2008, nous avons souhaité l’émergence d’une agence de notation européenne pour nous accompagner en plus de notre agence historique S&P. Nous avions pensé à Fitch Ratings, détenu à l’époque par le groupe français Fimalac. Mais les années ont passé et Fitch est devenu de moins en moins français, jusqu’à devenir complètement américain entre 2015 et 2018.

Dans le même intervalle, l’acquisition d’Airgas pour 13 milliards d’euros nous a obligée à émettre sur le marché en dollar pour avoir plus de profondeur de liquidité. Nous avons dû obtenir une deuxième notation auprès de Moody’s pour la financer. A cette époque, le secteur du gaz industriel se concentrait et notre concurrent historique, Linde, devenait également américain suite à sa fusion avec Praxair. Nous étions donc dans une situation où nos pairs et nos agences de notation battaient pavillon américain.

Outre ces considérations, l’aspect économique a aussi joué, les négociations avec nos agences devenant de plus en plus difficiles au fil des années [une étude AFTE a montré que les coûts pouvaient monter jusqu'à 2 millions d'euros par an pour certains émetteurs, ndlr]. Cela a renforcé notre conviction de voir émerger un acteur offrant une compétition plus saine et, quitte à choisir cet acteur, nous préférions qu’il soit européen.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à choisir Scope Ratings ?

Thomas Lemée : La première raison est que Scope nous notait déjà de façon non sollicitée, ce qui facilitait la procédure. L’autre raison tient au statut de Scope sous la forme d’une société par commandite. Le commanditaire est une fondation regroupant plusieurs personnalités de l’économie européenne, qui sont en mesure de mettre un veto en cas de tentative de rachat de Scope par un groupe étranger.

Comment s’est passée l’expérience de la notation ?

Thomas Lemée : Très simplement. L’intégration de la méthodologie Scope est assez accessible et transparente et laisse donc peu de place à l’interprétation ce qui la rend facilement abordable. D’autant que, dans notre cas, il s’agissait de convertir une notation non-sollicitée en sollicitée. Nous avons donc échangé des informations sur le business plan et la stratégie à long terme pour affiner leur analyse, sans que cela ne prenne trop de temps.

Charles-Henry Aulagner : Notre méthodologie consiste à refléter les spécificités régionales européennes. Nos analyses sont donc granulaires et donnent une opinion alternative sur la qualité du crédit. In fine, notre notation peut représenter un levier analytique mais aussi commercial.

Quelles plus-values avez-vous observé ?

Thomas Lemée : Il s’agit avant tout d’offrir une diversité d’opinions à nos investisseurs crédits, ce qui est très apprécié. Ensuite, sur l’aspect économique, l’impact n’est pas encore matériel, mais ce choix a permis de rééquilibrer un tant soit peu le débat avec nos autres partenaires tout en faisant passer un message. Enfin, la présence d’une nouvelle agence peut permettre de diluer un avis légèrement moins favorable ou au contraire d’accentuer une opinion mise en avant par une agence déjà en place.

Charles-Henry Aulagner : Il faut savoir que le marché des agences de notation présente d’importantes barrières à l'entrée, notamment des jalons règlementaires à obtenir auprès des régulateurs nationaux, de l'ESMA ou encore de la Banque centrale européenne. Le processus prend du temps mais permet ensuite d’être crédible auprès des investisseurs, des banques ou des assureurs.

Comment se positionne Scope par rapport aux autres agences sur la question des frais ?

Charles-Henry Aulagner : Scope adopte une politique tarifaire plus en ligne avec les réalités de marché. Nous renforçons ainsi la concurrence, ce qui est bénéfique pour l’ensemble des participants.

Est-il aujourd’hui possible de se passer d’une agence américaine ?

Thomas Lemée : De nos jours, il est encore compliqué de se passer d’une agence américaine pour une émission ; encore plus lorsqu’il s’agit d’émettre aux Etats-Unis. Dans tous les cas, la charge nous incombe d’essayer de créer des contre-pouvoirs pour établir une compétition plus saine sur le marché. Nous ne tenons pas à nous réveiller dans cinq à dix ans en nous disant que nous n’avons pas su anticiper ce changement de paradigme et en étant tributaires d’agences qui auraient perdu de leur objectivité et de leur indépendance. C’est donc avant tout une affaire de conviction. Si jamais cette collaboration était à refaire, nous n’hésiterions pas un instant, d’autant que les coûts engagés ainsi que la charge de travail supplémentaire sont loin d’être insurmontables au regard des bénéfices potentiels.

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