Laurent Bonhomme (Mousquetaires) : « La note EthiFinance est un atout dans la négociation de nos financements »
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Le marché des agences de notation est historiquement dominé par des acteurs américains. Quelques agences européennes existent mais représentent encore une part de marché minoritaire. L’Europe gagnerait pourtant à gagner en souveraineté sur le sujet. C’est pour mettre en avant ces dernières que la commission « Finance durable et notations » de l’AFTE a organisé mardi 3 juin une réunion sur les agences de notation européennes. Retrouvez ici le témoignage de Laurent Bonhomme, Directeur Financement, Trésorerie et communication Financière du groupement Mousquetaires, et celui de Bertrand Potier, directeur commercial des notations d’EthiFinance Ratings, qui reviennent sur les premières émissions publiques du groupe Les Mousquetaires, notées par EthiFinance.
Grâce à EthiFinance, en valorisant leur modèle coopératif, leur diversification d’activités et la solidité de leur gestion Le Groupement Mousquetaires a pu faire valoir auprès de ses banquiers et investisseurs obligataires une note plus favorable que celle de S&P.
Cette deuxième notation, avec un socle d’analyse semblable aux agences américaines, mais une approche plus fine et plus contextualisée sur certains points a permis d’ouvrir le dialogue avec les prêteurs dans de meilleures conditions, tout en renforçant la souveraineté européenne en matière de notation.
AFTE : Avant de parler de la notation, quelles sont les raisons qui vous ont amené sur le marché obligataire public ?
Laurent Bonhomme : Contrairement aux autres groupements d’indépendants, nous avons dû faire des investissements pour nos outils de productions, nos bases logistiques, ou encore nos activités immobilières. A cela s'ajoutent les besoins de financement pour nos opérations de croissance externe. Avant 2024, le groupement se finançait sur les marchés bancaires, le marché des NEU CP et Euro PP, marché dans lequel nous sommes devenus au fil du temps un des plus gros émetteurs.
En 2024, nous avons racheté près de 300 magasins Casino. L’opération s’est faite grâce à un financement bancaire qu’il a rapidement fallu refinancer. Or, le marché Euro PP était saturé. Le Schuldschein était encore fermé à cause de l’affaire Orpéa et l’USPP s’avérait contraignant pour des raisons de covenant semestriel et notation. Le marché obligataire public était alors une option idéale pour notre besoin. Nous avons émis une première obligation, non notée en juillet 2024, avant d’en émettre une seconde sur le marché noté cette fois ci, en janvier 2025.
Pourquoi avoir demandé une notation ?
Laurent Bonhomme : En l’absence de notation, le marché nous a appliqué une marge importante par rapport aux sociétés investment grade. En effet, le manque d’information, couplé à un délai assez court pour analyser notre dossier complexe, a conduit les investisseurs à nous attribuer un coût d’endettement environ 2 points au-dessus de celui de Carrefour, groupe bien connu des investisseurs car émetteur régulier, lors de notre première sortie obligataire en juillet. Or, notre modèle d’indépendants surperforme celui des intégrés depuis quelques années et nos principaux indicateurs de risque de crédit sont proches de ceux de Carrefour.. L’agence américaine S&P nous a ainsi attribué un BBB- (ndlr, la notation d’EthiFinance est arrivée quelques mois après). Bien qu’à la frontière du monde high yield, nous étions donc bel et bien investment grade.
Avez-vous remarqué un effet notable ?
Laurent Bonhomme : Oui. Durant l’été 2024, il n’y avait quasiment pas d’écart avec Auchan sur nos obligations à 5 ans, avec un rendement autour de 6 % et à l’inverse un grand écart avec Carrefour. Notre rendement ne reflétait pas notre véritable risque crédit. Quelques semaines plus tard, la publication de notre note a totalement inversé la donne, notre rendement s’est resserré très vite à des niveaux proches de Carrefour et très en dessous d’Auchan, reflétant la réalité de notre positionnement crédit.
Comment s’est fait le choix des agences de notation ?
Laurent Bonhomme : Nos premières analyses avaient convenu qu’il n’était pas nécessaire pour un primo-émetteur d’être immédiatement noté par deux grosses agences américaines. Nous voulions donc commencer seulement avec S&P.
EthiFinance, de son côté, notait déjà notre programme NEU CP depuis cinq ans. Ils étaient aguerris à notre modèle, notamment concernant la génération de valeur et la particularité des financements par les adhérents et cela nous laissait espérer une note plus favorable que celle de S&P. C’est ce qui est finalement arrivé, EthiFinance nous accordant un BBB et confirmant le caractère investment grade préalablement affirmé par S&P.
L’agence française a-t-elle apporté d’autres plus-values ?
Laurent Bonhomme : Maintenant que Casino a disparu, nous sommes comparés à des groupes beaucoup plus internationaux comme Carrefour. L’agence S&P nous a donc jugés comme peu diversifiés internationalement, ce qui se reflète dans son BBB-. De son côté, EthiFinance a pris en compte notre diversification sectorielle, en mettant en avant les spécificités du marché français, et l’a traduit dans la différence de notation.
L’agence a également valorisé le track-record de notre management, qui a réagi à la poussée inflationniste en ne distribuant pas de dividendes ; ce qui est le sens d’un modèle coopératif. L’analyse des liquidités est aussi allée au-delà d’une lecture purement financière, en contextualisant la maturité assez courte de notre dette directement liée au financement indirect par le réseau d’adhérent, comme le signe d’une bonne activité de nos adhérents.
Bertrand Potier : Nous notons effectivement une vingtaine d’émetteurs sur leur programme de dette à court terme et sommes donc familiers avec ces données. Par ailleurs, nous ne sommes pas dogmatiques, c’est-à-dire que nous ne rangeons pas toutes les entreprises d’un secteur dans le même panier. Nos analystes essaient évidemment d’être aussi fins et pertinents que possible, ce qui se ressent dans les rapports.
Quel a été l’impact sur votre relation avec les banques ?
Laurent Bonhomme : On le sait, les analystes bancaires ont souvent tendance à converger vers la notation des grosses agences lorsqu’elle est disponible. Certaines banques ont d’ailleurs ajusté leur notation interne suite à cette publication. La notation EthiFinance permet de recontextualiser les discussions, en invitant les investisseurs à lire les rapports des deux agences.
Nous essayons systématiquement de faire valoir la note EthiFinance dans les clauses qui font appel à la notation lors de nos négociations bancaires. La note étant meilleure, nous en tirerons un avantage certain. Toutefois, même si c’est encore très difficile actuellement de passer ce cap contractuel, c’est à minima un levier de négociation supplémentaire.
Et quid de vos investisseurs obligataires ?
Laurent Bonhomme : Lors de nos roadshows, nous avons fait l’effort de mettre en avant la note EthiFinance dès lors qu’une question était posée sur la note S&P. Quelques questions ont donc été posées mais il faut admettre qu’elles sont restées rares. Mais, étant donné qu’il s’agissait de nos premières émissions, je pense que l’attention des investisseurs était plutôt portée sur la découverte de notre groupe.
Comment se positionne EthiFinance par rapport aux autres agences sur la question des frais ?
Bertrand Potier : Nous sommes évidemment des challengers. EthiFinance a été créé en 2012, dans un environnement post-crise financière. Nous avons pris en compte les retours des clients sur les pratiques commerciales des acteurs du secteur et nous avons ainsi cherché à offrir plus de prévisibilité. Nos frais sont donc plus alignés avec la réalité du marché.
Avez-vous des recommandations ?
Laurent Bonhomme : Si l’on cherche à lever régulièrement de la dette, on ne peut pas se passer de l’évaluation d’au moins une des deux agences américaines [S&P et Moody’s, ndlr]. Je conseille de faire la démarche avec l’une ou les deux et, en parallèle, de faire de même avec au moins une ou deux agences européennes. La charge de travail supplémentaire n’est pas énorme car les données se mutualisent et les méthodologies sont assez similaires, d’autant que les frais sont effectivement beaucoup plus abordables.
Les agences européennes représentent encore une petite part de marché. Mais le fait de les associer, de préciser qu’elles connaissent bien nos modèles, de fournir les rapports… je pense que cela a son importance dans les discussions. Si cela peut donner des idées à d’autres entreprises, elles pourraient prendre plus de poids. Cela vaut le coup d’essayer, en tout cas si l’on souhaite réduire notre dépendance aux agences américaines à l’avenir.
Existe-t-il des garde-fous empêchant EthiFinance de passer sous pavillon américain ?
Bertrand Potier : Nous sommes détenus par un family-office français qui a investi beaucoup depuis 5 ans pour créer le leader de la notation financière et extra-financière. Il s'inscrit dans le temps long. La décision de faire entrer des investisseurs est donc à leur main. Ils ne cherchent pas a priori vendre aux investisseurs de type anglo-saxons qui ne privilégient que la matérialité simple.
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