La tokenisation : quels impacts pour la trésorerie d’entreprise ?
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Points clés à retenir :
- La tokenisation consiste à représenter un actif traditionnel sur une blockchain afin d’en tirer un ou plusieurs jetons (token) ;
- Les transactions impliquant ces jetons sont plus rapides, plus transparentes et moins coûteuses ;
- On tokenise déjà des parts de fonds monétaires, des titres de créance ou des devises (stablecoins) ;
- Les trésoriers doivent se familiariser avec ces concepts car ils feront parties des transactions de demain.
La « tokenisation » s’impose progressivement dans le paysage financier. La Banque centrale européenne l’évoque elle-même dans son rapport sur l’euro numérique de gros, publié récemment. L’idée : transformer les infrastructures de marché afin qu’elles puissent interagir avec des blockchains d’ici à quelques années et bénéficier des avantages.
Mais qu’entend-on exactement par tokenisation ? Quels actifs sont concernés ? Quels bénéfices pour les trésoriers ? Pour répondre à ces questions, la commission « Innovation et solutions numériques » de l’AFTE a organisé, le 10 juin, une réunion avec trois experts : Arnaud Sales, co-fondateur d’Onbrane, Julien Lasalle, chef du service de surveillance des moyens de paiement scripturaux à la Banque de France, et Laurent Rouillac, président-directeur général de Syrtals.
Qu’est-ce que la tokenisation ?
Avant de parler de tokenisation, il faut brièvement revenir sur la blockchain. Dans la finance traditionnelle, un tiers de confiance (banque, chambre de compensation etc.) intermédie les échanges en tenant un registre des transactions. La blockchain disrupte ce modèle en distribuant le registre à tous les participants du réseau (des « nœuds »), qui valident et enregistrent eux-mêmes les informations.
Les transactions vérifiées forment régulièrement un « bloc » et chaque nouveau bloc est lié au précédent, créant ainsi une chaîne continue et immuable (d’où le terme blockchain). Différentes blockchains existent (Bitcoin, Ethereum, Ripple…), chacune ayant un design spécifique répondant à des objectifs précis.
La tokenisation consiste alors à représenter un actif traditionnel sur une blockchain afin d’en tirer un ou plusieurs jetons (token) librement négociables. Les jetons profiteront des propriétés de la blockchain (comme la désintermédiation) et se transfèreront plus rapidement et à moindre coût que l’actif dans sa forme traditionnelle.
Que peut-on tokeniser ?
La tokenisation concerne une grande variété d’actifs. Dans son mémorandum sur la tokenisation, l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan) recense :
- Des actifs corporels : bien immobiliers, objets de luxe, œuvre d’art, stocks et inventaires, documents…
- Des actifs incorporels : droit de propriété intellectuelle, certificats d’authenticité, droits d’utilisation, licences...
- Instruments financiers : actions, obligations, parts d’OPCVM, contrats financiers…
Le mouvement est déjà lancé dans la trésorerie d’entreprise :
- Depuis mai 2025, BNP Paribas Asset Management propose des parts de fonds monétaire tokenisés, permettant une exécution quasi instantanée et un suivi en temps réel ;
- La fintech Spiko a lancé un an plus tôt ses propres fonds monétaires tokenisés ;
- Onbrane, une plateforme digitale pour les titres de créance, tokenise des titres de dette à court terme (NEU CP, ECP, US CP…).
Qu’apporte la tokenisation ?
Les avantages souvent cités sont des transactions plus rapides, plus transparentes et à moindre coût.
Mais il existe encore un problème de perception de la valeur aujourd’hui. « La blockchain n’est pas un concept uniforme : il existe des blockchains publiques, privées ou en consortium, chacune ayant ses propres caractéristiques (Ethereum, Ripple, Polygon…). Les choix technologiques ont une influence sur les avantages pour l’utilisateur », explique Arnaud Sales.
Les bénéfices dépendent aussi du cas d’usage. Par exemple, une émission de NEU CP, qui se règle encore en deux jours sur les marchés traditionnels, pourrait être faite en quelques secondes grâce à la blockchain, réduisant ainsi le risque de contrepartie et de marché.
Les frais sur des paiements ou des opérations de cash management peuvent être réduits grâce à des stablecoins, qui se passent de certains intermédiaires. Pour rappel, les stablecoins sont des jetons émis sur une blockchain visant la parité avec une monnaie traditionnelle.
Le trésorier peut aussi consulter les données d’une blockchain en temps réel : nombre d’investisseurs dans un fonds monétaire, poids relatif de chacun… Autant d’informations utiles pour savoir si l’on investit dans un véhicule bien diversifié - en sachant que les données restent pseudonymisées.
Quel est l’actif de règlement ?
La blockchain ne reconnaît que la blockchain. Pour interagir avec, il faut utiliser des jetons (tokens) émis dessus et qui représentent des euros ou des dollars. On parle de stablecoins lorsqu’ils sont émis par une entreprise privée (Tether, Circle, Société Générale…) ou de monnaie numérique de banque centrale (MNBC) lorsqu’ils sont émis par une banque centrale (euro numérique, e-yuan, eNaira…).
La question du futur actif de règlement est encore ouverte :
- Aux Etats-Unis, l’administration Trump laisse la main au secteur privé en encensant les stablecoins et en écartant le lancement d’un dollar numérique par la Réserve fédérale ;
- En Europe, la BCE met en avant l’importance de la souveraineté européenne sur les paiements et travaille sur un euro numérique de gros. Un projet pilote est prévu pour le T3 2026, destiné aux banques et institutions financières. Les entreprises devront donc passer par leur banque ou se tourner vers des stablecoins privés.
Qu’est-ce que cela change pour un trésorier ?
Les infrastructures blockchain ouvrent la possibilité à des transactions instantanées sur les marchés financiers. Il serait dommageable que les Etats-Unis et l’Asie fonctionnent en J+0 alors que les Européens restent bloqués dans un système en J+2. Les trésoriers sont donc invités à suivre ces évolutions et à expérimenter dès que possible pour des opérations qui peuvent aller du paiement au cash management.
S’ils souhaitent expérimenter, les trésoriers doivent toutefois prêter attention à l’actif de règlement qu’ils utilisent. Les stablecoins sont actuellement les seuls outils disponibles et comportent plusieurs risques. Primo, celui lié à un potentiel défaut de l’émetteur, dont il faut s’assurer de la solidité. Secundo, celui lié aux collatéraux qui assurent la parité du jeton. Dans le cas des stablecoins en dollar, les jetons sont collatéralisés par de la dette souveraine américaine. Il faut donc avoir conscience qu’acheter des stablecoins en dollar revient à s’exposer d’une façon indirecte à la dette américaine.
Finalement, les trésoriers ont intérêt à se familiariser dès aujourd’hui avec les concepts de tokenisation, de stablecoin et de MNBC car ils sont appelés à s’immiscer dans les transactions de demain.
Les changements arrivent rapidement Dernier exemple en date, la Banque de France travaillerait apparemment sur la tokenisation du marché repo. Révélé par Blockstories le 23 juillet, l’initiative rassemblerait la Banque de France, qui organise le marché, Société Générale, qui fournit l’actif de règlement à savoir son stablecoin, la fintech Spiko, qui fournit les collatéraux à savoir ses fonds monétaires tokenisés, et enfin la fintech crypto Morpho, qui fournit un protocole de prêt en finance décentralisée (une « pool »). Les participants peuvent toutefois encore changer. A noter que i) la Banque de France expérimente avec un stablecoin et non l’euro numérique de gros ii) l’expérience prend place sur une blockchain publique et non une blockchain privée. Pour le second point, la raison tient au fait que c’est ici que l’on trouve la plus grande liquidité. Il s’agit d’un projet véritablement transformant, qui pourrait rendre le marché plus liquide à terme. Il illustre bien la façon dont la blockchain peut remodeler et améliorer la finance d’aujourd’hui. |
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