La BCE acte la tokenisation des marchés financiers
Points clés à retenir :
- La BCE croit dans la technologie blockchain pour améliorer le fonctionnement des marchés de capitaux et de paiement ;
- Elle déploie une approche en deux temps pour faire évoluer les infrastructures de marché actuelles ;
- Elle souhaite positionner son euro numérique de gros comme le futur actif de règlement de ces nouvelles infrastructures de marché ;
- Plusieurs expérimentations ont déjà été conduites, avec succès, pour un montant de 1,6 milliard d’euros.
« Bien que les conséquences doivent encore être constatées, la tokenisation et les registres distribués sont en mesure de fournir de nouvelles façons d’améliorer le règlement des transactions financières ». Loin d'être ceux d'un fanatique de la blockchain, ces mots sont ceux de Piero Cipollone, membre du comité exécutif de la Banque centrale européenne (BCE), exprimés dans un rapport sur l’euro numérique de gros paru le 1er juillet 2025.
La tokenisation consiste à représenter un actif sur une blockchain afin d’en tirer un jeton (token) dont la transférabilité est accrue. Il en ressort des transactions plus rapides, plus transparentes et moins coûteuses qu’avec les infrastructures actuelles.
La BCE considère activement la technologie des registres distribués (dont la blockchain est la forme la plus connue) pour le règlement futur des transactions financières. Elle pourrait, selon elle, aider à combler les lacunes actuelles des marchés de capitaux et de paiement ; telles que la fragmentation, la complexité et les inefficacités technologiques.
Plan en deux étapes
A ce titre, l'institution s'est engagée dans un projet de numérisation de la monnaie de banque centrale, aux niveaux retail et wholesale. L’objectif est d’assurer aux citoyens et aux institutions financières un accès numérique à la monnaie de banque centrale.
Dans le cadre de son projet d’euro numérique wholesale, la BCE étudie la possibilité de faire circuler les transactions financières sur la blockchain. Trois solutions, toutes reliées aux infrastructures de marché TARGET, ont été présentées ; dont une par la Banque de France, une par la Banca d’Italia et une par la Bundesbank. Elles intègrent toutes la blockchain à des niveaux différents.
Au final, après des mois d'expérimentation, la BCE a opté pour une approche en deux temps :
- Une approche à court terme (Pontes) : la BCE fournira une plateforme reliant les infrastructures existantes (services TARGET) à des blockchains. Elle devrait consister en un mélange entre les trois versions des banques centrales nationales. Une version pilote est prévue pour la troisième trimestre 2026 ;
- Une approche à long terme (Appia) : bien qu’elle soit encore à définir, elle doit permettre l’échange d’actifs tokenisés en intégrant tous les acteurs de l’écosystème. Des mises à jour de tous les systèmes vont donc devoir être opérées, ce qui demande plus de temps.
« En proposant une offre à court terme pour le règlement en monnaie centrale des transactions basées sur des registres distribués, l'Eurosystème continuera à soutenir les besoins et les innovations du marché tout en faisant progresser les recherches sur les perspectives à long terme de l'écosystème », affirme la BCE.
Expérimentations
Des expérimentations ont déjà été conduites depuis les phases de test qui ont débuté en mai 2024. La Slovénie a par exemple émis la première obligation souveraine numérique de la zone euro sur un registre distribué, d’une maturité de 4 mois et d’un montant de 30 millions d’euros. BNP Paribas a organisé et placé cette émission.
La Banque de France a par la suite acquis sur le marché secondaire ce titre auprès de BNP Paribas. L’institution a testé, avec succès, la tombée de coupon et le remboursement indus, qui ont été effectués via sa solution.
Société Générale a également déposé en garantie auprès de la Banque de France des titres obligataires émis en 2020 sur la blockchain publique Ethereum en échange de jetons de monnaie numérique de banque centrale, émis par la Banque de France sur sa solution.
Au total, 64 institutions ont participé à des tests à grande échelle pour le règlement d’actifs tokenisés en monnaie de banque centrale, avec près d'1,6 milliard d’euros traités.
Avec ce plan et ces expérimentations, la BCE accélère ainsi sur la transition des marchés financiers vers la blockchain. Son euro numérique de gros doit y jouer un rôle important car il assurera le règlement des transactions entre institutions financières en monnaie centrale. Il vient contrer la popularité croissante des alternatives privées comme les stablecoins, qui n’offrent pas des garanties aussi solides et menacent la souveraineté de la zone euro en matière de paiement.
A noter toutefois, l'existence d'un trou dans la raquette. Dans sa version actuelle, l'euro numérique de gros serait réservé aux institutions financières et ne serait donc pas disponible pour les grandes entreprises. Celles désirant effectuer leurs propres expérimentations vont probablement devoir passer par des institutions financières ayant accès à l'euro numérique de gros ou alors se tourner vers des stablecoins, avec les risques associés.
Le design de l'euro numérique progresse
La Banque de France contribue activement au projet de l'euro numérique. Elle dialogue régulièrement avec le marché pour présenter l’évolution du projet. C’est pourquoi Alexandre Stervinou, directeur des études et de la surveillance des paiements à la Banque de France, a participé à une conférence en octobre 2024 organisée par la délégation régionale Hauts-de-France de l’AFTE. Il a, à cette occasion, partagé les dernières avancées.