Le paiement, un enjeu majeur de souveraineté économique

juin 2024
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Florence Ségurel - AFTE
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Ouvert à tous

Le paiement est essentiel pour notre économie, mais son écosystème est souvent opaque. Actuellement, ce domaine connaît des changements majeurs avec l'arrivée de grandes entreprises américaines de la tech et de nombreuses fintechs.

Cette transformation pourrait bientôt concentrer le contrôle mondial du paiement entre quelques acteurs américains, ce qui entraînerait une hausse des coûts, un impact sur l'inflation et une perte de contrôle des données en Europe. Pour les commerçants, il est crucial de percevoir le paiement non plus comme un coût, mais comme un facilitateur de l'achat. Il est urgent de proposer des offres cohérentes et transparentes, sans empiler des services similaires qui augmentent les coûts pour les consommateurs. Face à la montée des coûts du paiement, il est impératif de soutenir les initiatives européennes pour créer des systèmes alternatifs et maintenir une saine concurrence. Les grandes entreprises doivent mettre en lumière ces enjeux et tous les acteurs doivent s'engager dans une démarche éthique pour gérer ces questions cruciales.

Le paiement est un pilier majeur de notre économie, une nécessité pour l’ensemble des échanges et sans lequel le système ne peut fonctionner. Comme dans d’autres domaines, les acteurs experts de l’écosystème du paiement ont tendance à entretenir une certaine opacité, sous couvert de technicité.


Force est de constater qu’au-delà de l’enjeu et de la complexité que représente le paiement au sein de l’économie, cet écosystème est en pleine évolution et restructuration, avec l’arrivée de grandes entreprises américaines de la tech.


Les virages stratégiques de grands acteurs internationaux, l’émergence de nombreuses fintechs et la restructuration des protagonistes historiques constituent autant de signes annonciateurs d’une révolution. Les mutations sont telles qu’il est probable qu’à court terme, l’ensemble des échanges à l’échelle mondiale soit dans la main de quatre acteurs américains.


Les conséquences, dont les prémisses se sont déjà fait sentir sur l’économie européenne, seront bien tangibles : augmentation significative des coûts du paiement, impact sur l’inflation, perte de contrôle des données, désintermédiation des acteurs bancaires historiques et des commerçants, avec un risque de perte d’influence politique notable.


Puisque, comme chacun le sait, celui qui possède le contrôle de la finance et des données possède le pouvoir, il s’agit là d’une question de souveraineté. Le sujet est vaste et pourra être débattu longuement.


Dans un premier temps, si on se place du point de vue du commerçant, il s’agit de repositionner le paiement non plus comme une contrainte, un coût, mais comme un facilitateur du parcours du client et de l’acte d’achat, un produit de consommation à part entière.


Demain, il s’agira de définir comment sera « consommé » le paiement. Il est urgent que les acteurs proposent des offres cohérentes, en cessant de superposer des services multiniveaux similaires (assurances, cash back…) sur les moyens de paiement unitaires tout en faisant supporter le coût aux commerçants, et de facto à l’ensemble des consommateurs.


Au-delà du paiement pur, les services associés peuvent être utiles, présenter une véritable valeur ajoutée, et une réelle avancée dans l’extension de l’expérience du client. C’est une excellente chose. En revanche, il est impensable que ces services s’empilent avec d’autres services déjà existants ; il est nécessaire qu’ils soient exposés de manière transparente aux consommateurs, par exemple dans des outils de type wallets (portefeuilles électroniques), et que ceux qui consomment ces services en supportent le coût.


A défaut, on s’expose à un impact inflationniste avec une création de valeur artificielle au bénéfice des seuls intermédiaires financiers. Face aux offensives actuelles des grands acteurs, pour éviter une envolée des coûts du paiement – cela pourrait aller jusqu’à dix fois ceux des coûts actuels -, et enrayer la hausse déjà constatée par des grands commerçants depuis trois ans, il est capital de prendre de la hauteur. Il est temps de regarder en conscience les enjeux, de soutenir les initiatives européennes de création de systèmes d’échange alternatifs, pour maintenir l’équilibre des paiements au sein de l’économie européenne.


Il est bien évidemment crucial d’accompagner sans plus attendre cette démarche, en encadrant les pratiques pour maintenir une saine concurrence et des coûts raisonnés. Il est de la responsabilité des grandes entreprises de mettre en lumière ces enjeux. Les autres acteurs, participant aux échanges économiques ou influant sur eux, n’ont pas forcément un intérêt à traiter ces questions, les coûts étant répercutés, in fine, sur les commerçants et les consommateurs. La commission en appelle à la responsabilité collective, avec un engagement de tous dans une démarche éthique sur ce sujet du paiement.


Par Florence Ségurel, présidente de la commission « moyens de paiement » de l’AFTE - Point de vue de La Lettre du trésorier d'avril 2024
 

Pour la consulter (réservé aux abonnés) : https://www.afte.com/les-tests-de-resistance-face-la-volatilite-du-cash-en-temps-de-crise