Bercy entrouvre la porte aux abandons de PGE
Une poignée de grandes entreprises parviennent à négocier avec les banques et l'État.
En coulisses, les entreprises défilent ces dernières semaines dans les couloirs de Bercy dans l'espoir de négocier un abandon de leur prêt garanti par l'État (PGE). Dans un contexte macroéconomique assombri et avec la fin du « quoi qu'il en coûte », la perspective d'une envolée des défaillances pousse aujourd'hui l'exécutif à revoir sa doctrine qui consistait à ne pas toucher à ces créances détenues par les banques et massivement garanties par l'État. « Dans le cadre de procédures de restructurations financières, il peut y avoir des cas d'abandons partiels de PGE, notamment pour des dossiers aux enjeux financiers et sociaux importants », concède Bercy au Figaro. Les dossiers délicats transitent systématiquement par le Ciri (comité interministériel de la restructuration industrielle). Dans le plus grand des secrets, cette cellule du ministère de l'Économie vient en aide aux sociétés de plus de 400 salariés, avant que leurs difficultés financières ne les contraignent à basculer dans une procédure collective (sauvegarde, redressement judiciaire ou même liquidation judiciaire). Ses équipes traitent aujourd'hui une cinquantaine de dossiers.
Selon nos informations, durant la période estivale, le fournisseur aéronautique Bt2i aurait ainsi bénéficié d'un effacement partiel de son ardoise, dont une partie de ses 18 millions d'euros de PGE.
Le fonds d'investissement Tikehau Capital aurait accepté de prendre une participation de plusieurs dizaines de millions d'euros au capital de la société, en échange d'une réduction significative de son passif financier.
Contacté, Tikehau n'a pas souhaité faire de commentaires.
Selon nos confrères des Échos, la société de scooters électriques Cityscoot (qui compte parmi ses actionnaires la RATP et la Banque des territoires, filiale de la Caisse des dépôts) serait également l'une des rares à avoir bénéficié d'un abandon partiel de son PGE de 20 millions d'euros.
L'exécutif anticipe une perte pour l'État de 1,3 milliard en 2022, puis de 2,15 milliards en 2023, sur les 143 milliards d'euros de PGE accordés par les banques à 700 000 entreprises depuis le début de la pandémie de Covid.
« En conciliation ou en mandat ad hoc »
Dès lors qu'une entreprise souhaite restructurer un PGE supérieur à 50 000 euros, elle se voit dans l'obligation de restructurer l'intégralité de son passif.
Une nécessité bien plus lourde de conséquences, qui pousse les dirigeants à réfléchir à deux fois avant de tenter de s'attaquer au remboursement de leur PGE… « C'est maintenant que tout se joue. Les négociations entre les entreprises et leurs créanciers se font en conciliation ou en mandat ad hoc(des procédures confidentielles, NDLR)», glisse un avocat d'affaires de la place de Paris. À titre d'exemple, il négocie ces derniers jours pour le compte d'un grand groupe un abandon d'une partie de sa dette de 400 millions d'euros, dont 40 millions de PGE. « Avant d'accepter de faire un geste sur le PGE, les banques doivent s'assurer d'obtenir un accord de principe de Bpifrance que la garantie de l'État (à hauteur de 90 %) sera maintenue. Cela peut parfois prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois », précise un autre expert. De fait, les pouvoirs publics ne veulent pas dépenser l'argent du contribuable inconsidérément.
Aujourd'hui, le ministère de l'Économie se dit prêt à envisager un abandon partiel de PGE uniquement dans une poignée de cas de figure. « Pour des entreprises, notamment de nature industrielle et disposant de ressources actionnariales limitées, et qui, écrasées par leur dette, ne pourraient pas espérer retrouver une situation saine sans un effacement d'une partie de leur passif », nous précise t-on. Dans ce cas, les créanciers, dont les banques à l'origine du PGE, pourraient consentir à faire un effort en effaçant partiellement la dette. Dans l'espoir notamment que l'entreprise évite un dépôt de bilan dans un futur proche et qu'elle ait une chance de rembourser ses autres dettes.
En général, ces abandons de créances sont la conséquence d'un changement de contrôle (avec l'arrivée d'un nouvel actionnaire) ou d'une injection d'argent frais, en échange d'une réduction drastique de la dette. « Dans les rares cas d'abandon partiel de PGE, l'État indemniserait la banque pour sa perte, à hauteur de la quotité garantie », tient à rassurer Bercy. D'autant que ces situations sont souvent assorties d'une clause de retour à meilleure fortune, c'est-à-dire une promesse de remboursement partiel des dettes quand l'entreprise redressera la barre.
« Les cas d'abandon partiel sont traités à titre tout à fait exceptionnel. La règle est que le PGE restera une dette bancaire qu'il faudra rembourser » Maxime Lebreton, administrateur judiciaire chez AJ Associés
« Ne pas se transformer en subvention »
Globalement, cette option reste bien moins complexe à mettre en place qu'une conversion en capital de PGE via des fiducies.
Comme ce fut le cas pour le spécialiste français de la location de vacances Pierre & Vacances. Il y a quelques mois, le groupe coté voyait ainsi son PGE de 240 millions d'euros converti en capital, faisant des banques de nouveaux actionnaires. L'État, qui avait, à l'époque, versé aux banques concernées sa garantie de 90 %, compte bien récupérer dans un avenir proche une partie de son argent. Dès lors que Pierre & Vacances reversera des dividendes par exemple, il pourra prétendre aux sommes perçues par les banques. « Ce type de cas restera très rare, et se comptera sans doute sur les doigts d'une main », explique Bercy.
L'exécutif anticipe une perte pour l'État de 1,3 milliard en 2022, puis 2,15 milliards en 2023, sur les 143 milliards d'euros de PGE accordés par les banques à 700 000 entreprises depuis le début de la pandémie. Sachant que 76 % des entreprises bénéficiaires ont obtenu un PGE d'un montant inférieur à 100 000 euros. « Il faut tout de suite écarter l'idée que le PGE pourrait in fine se transformer en subvention pour les entreprises », tient à préciser Bercy.
Pour les petites structures, c'est la médiation du crédit qui intervient et les dossiers se règlent généralement par un étalement de la dette sur plusieurs années. À ce jour, près de la moitié des sociétés qui ont sollicité ce service de la Banque de France ont vu leur échéance de dette repoussée sur un maximum de 4 ans. Dans une vaste majorité des cas, les entreprises tricolores ont bien commencé à rembourser leur PGE. « Il ne faut pas donner de faux espoirs aux nombreuses entreprises qui espèrent ne jamais avoir à rembourser leur PGE. Les cas d'abandon partiel sont traités à titre tout à fait exceptionnel. La règle est que le PGE restera une dette bancaire qu'il faudra rembourser », avertit Maxime Lebreton, administrateur judiciaire chez AJ Associés